L'ombre d'un doute
Cependant, quand je me remémore ma terrible initiation à Cibola, je ne peux m'empêcher de me demander si les méthodes de maître Yehudi n'étaient pas trop dures. La première fois que j'ai enfin réussi à me détacher du sol, ce n'était dû à rien de ce qu'il m'avait appris. J'avais fait ça tout seul sur le plancher glacé de la cuisine, et ça s'était produit à la suite d'une longue crise de sanglots et de désespoir, quand mon âme avait commencé à s'échapper de mon corps et que j'avais perdu conscience de moi-même. Peut-être le désespoir était-il la seule chose qui comptait vraiment. Dans ce cas, les épreuves matérielles que le maître m'avait imposées n'étaient qu'un leurre, une diversion destinée à me faire imaginer que j'arrivais à quelque chose - alors qu'en réalité je n'étais arrivé nulle part avant de me retrouver couché à plat ventre sur le sol de la cuisine.
Et si le processus ne comportait aucun degré ? Si tout se réduisait à un instant - un saut - l'éclair d'une métamorphose ? Maître Yehudi avait été formé à la vieille école, et c'était un magicien pour ce qui concerne sa capacité à me faire avaler ses tours de passe-passe et ses grands discours. Mais... si sa voie n'était pas la seule voie ? S'il existait une méthode plus simple, plus directe, un cheminement qui naîtrait à l'intérieur et dépasserait le corps de très loin ?
En mon for intérieur, je ne crois pas qu'un talent particulier soit nécessaire pour décoller du sol et flotter en l'air. Nous avons tous ça en nous - hommes, femmes et enfants. Il faut apprendre à ne plus être soi-même. C'est là que tout commence, et le reste en découle. Il faut se laisser évaporer. Laisser ses muscles devenir inertes, respirer jusqu'à ce qu'on sente son âme s'écouler hors de soi, et puis fermer les yeux. C'est comme ça qu'on fait. Le vide à l'intérieur du corps devient plus léger que l'air alentour. Petit à petit, on finit par peser moins que rien. On ferme les yeux ; on écarte les bras ; on se laisse évaporer. Et alors, petit à petit, on s'élève.
Comme ça.
(extrait de Mr VERTIGO de Paul Auster)
Et si le processus ne comportait aucun degré ? Si tout se réduisait à un instant - un saut - l'éclair d'une métamorphose ? Maître Yehudi avait été formé à la vieille école, et c'était un magicien pour ce qui concerne sa capacité à me faire avaler ses tours de passe-passe et ses grands discours. Mais... si sa voie n'était pas la seule voie ? S'il existait une méthode plus simple, plus directe, un cheminement qui naîtrait à l'intérieur et dépasserait le corps de très loin ?
En mon for intérieur, je ne crois pas qu'un talent particulier soit nécessaire pour décoller du sol et flotter en l'air. Nous avons tous ça en nous - hommes, femmes et enfants. Il faut apprendre à ne plus être soi-même. C'est là que tout commence, et le reste en découle. Il faut se laisser évaporer. Laisser ses muscles devenir inertes, respirer jusqu'à ce qu'on sente son âme s'écouler hors de soi, et puis fermer les yeux. C'est comme ça qu'on fait. Le vide à l'intérieur du corps devient plus léger que l'air alentour. Petit à petit, on finit par peser moins que rien. On ferme les yeux ; on écarte les bras ; on se laisse évaporer. Et alors, petit à petit, on s'élève.
Comme ça.
(extrait de Mr VERTIGO de Paul Auster)
Libellés : attitude intérieure, initiation
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